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la tête baissée, en se signant comme pour chasser loin de lui un esprit impur. Il espérait pouvoir oublier la grossièreté de son frère, dans la fraîche pénombre du cloître gothique ; mais il était écrit que ses paisibles exercices de piété seraient troublés ce matin-là. Lorsqu’il entra dans l’église, d’ordinaire déserte à cette heure matinale, un homme à genoux se leva rapidement et marcha vers la porte. Quand le vicaire le vit apparaître en plein jour, il s’arrêta surpris. Ce fidèle matinal n’était autre que l’idiot du village, un neveu du forgeron, qui ne pouvait ni ne voulait se soucier de l’église, ni de rien d’autre. On l’appelait partout « le fou Joë », et il ne semblait pas avoir d’autre nom. C’était un solide gars ; il avait le dos voûté, la face lourde, le teint pâle, des cheveux sombres et lisses, et la bouche toujours ouverte. Quand il passa devant le prêtre, celui-ci ne put rien déchiffrer, dans son attitude hébétée, qui pût lui faire deviner pourquoi il était entré dans l’église. On ne l’avait jamais vu prier auparavant. À quelles étranges prières pouvait-il bien s’être livré ?

Wilfred Bohun resta planté à la même place. Il vit l’idiot sortir au soleil, tandis que son frère le hélait avec une familiarité moqueuse. Il vit enfin le colonel jeter des sous dans la bouche ouverte de Joë, comme on jette du pain dans la gueule d’un chien.

Cette odieuse image, baignée de soleil, où s’exprimait toute la stupidité et toute la cruauté de ce monde, força enfin l’ascète à chercher un refuge purificateur dans la prière. Il s’assit sur