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grises. Il rasa la sienne, puis il attendit les événements. Le stratagème réussit. L’infortuné capitaine, vêtu de ses nouveaux habits, entra triomphalement dans la maison, en qualité de prince, et tomba sur l’épée du Sicilien.

Il n’y eut qu’un accroc, et il fait honneur à la nature humaine. De mauvais esprits, tels que Saradine, commettent souvent d’irréparables fautes, parce qu’ils n’escomptent jamais la possibilité d’une noble action. Le prince était convaincu que le coup porté par l’Italien, lorsqu’il frapperait son ennemi, serait ténébreux, brutal et anonyme, comme le crime qu’il devait venger ; sa victime serait poignardée la nuit ou fusillée de derrière une haie, et devait expirer avant d’avoir pu parler. Aussi eut-il un mauvais moment à passer, lorsque le chevaleresque Antonelli proposa à son ennemi un duel en règle, avec toutes les explications qui pouvaient s’ensuivre. C’est à ce moment que je le vis quitter l’île, sur son bateau, le regard égaré. Il fuyait, tête nue, dans la crainte qu’Antonelli ne reconnût sa méprise.

Mais malgré son angoisse, il conservait de l’espoir. Il connaissait le caractère de l’aventurier et celui du fanatique. Il était plus que probable qu’Étienne, l’aventurier, se tairait pour le plaisir de jouer son rôle jusqu’au bout, pour pouvoir conserver la confortable retraite qu’il venait d’acquérir, et par suite de sa confiance dans son étoile et dans son talent d’escrimeur. Il était certain qu’Antonelli, le fanatique, se tairait, et se laisserait pendre plutôt que de di-