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pu tirer parti de son talent, le prince Saradine commença, suivant la formule employée par la chronique mondaine, à voyager. Le fait est qu’il se mit à fuir d’une ville à l’autre, comme un criminel, traînant à sa suite son implacable ennemi. La situation du prince Paul était des plus dangereuses. Plus il dépensait d’argent, pour éviter Antonelli, moins il en disposait pour faire taire Étienne. Plus il se mettait en frais pour faire taire Étienne, moins il avait de chances d’échapper à Antonelli. C’est alors qu’il eut un trait de génie, digne de Napoléon.

Au lieu de continuer à résister à ces deux adversaires, il abdiqua brusquement devant eux. Il céda, comme un lutteur japonais, et ses ennemis tombèrent à ses pieds. Il renonça à son voyage autour du monde, fit parvenir son adresse au jeune Antonelli et satisfit toutes les exigences de son frère. Il envoya à Étienne l’argent qu’il lui fallait pour se bien vêtir et voyager confortablement, ainsi qu’une lettre dans laquelle il lui disait à peu près ce qui suit : « Je t’envoie tout ce qui me reste. Tu m’as ruiné. J’ai encore une petite maison, dans le Norfolk, avec des domestiques et une cave, et, si tu exiges davantage, c’est tout ce que je puis te donner. Viens en prendre possession, si tu le désires, et je vivrai tranquillement à tes côtés en qualité d’ami, d’intendant ou de ce qu’il te plaira. » Il savait que le Sicilien ne connaissait pas les frères Saradine, sauf, peut-être, par des photographies ; il savait aussi qu’ils se ressemblaient, grâce surtout à leurs barbiches