Page:Chesterton - La Clairvoyance du père Brown.djvu/236

Cette page a été validée par deux contributeurs.

avait aucun radeau, aucune planche sur lesquels on pût sortir de cette retraite ; cette île perdue, au milieu de ce vaste étang, était aussi isolée du reste du monde qu’un récif au milieu du Pacifique.

À l’instant où cette idée traversait l’esprit de Brown, le cliquetis des rapières se précipita, le prince jeta les bras en l’air, et la pointe du fer de son adversaire apparut entre ses omoplates. Il tomba à la renverse, en tournant sur lui-même comme un enfant qui fait la roue.

Son épée s’échappa de sa main et, comme une étoile filante, alla plonger au loin, dans la rivière. Il s’abattit si violemment sur le sol qu’il brisa, dans sa chute, un buisson de rosiers, et projeta en l’air un nuage de poussière rouge — comme la fumée de quelque sacrifice païen. Le Sicilien avait apaisé les mânes de son père.

Le prêtre s’agenouilla aussitôt près du corps, mais pour s’assurer seulement que c’était bien un cadavre. Tandis que, par excès de précaution, il tentait une dernière expérience, il entendit, pour la première fois, un bruit de voix venant d’amont, et vit un bateau aborder au débarcadère, chargé de policiers et de quelques notables, parmi lesquels Paul, plus affairé que jamais. Le petit prêtre se redressa en faisant une grimace de défiance.

— Pourquoi, au nom du ciel, murmura-t-il, pourquoi n’est-il pas revenu plus tôt ?

Sept minutes après, l’îlot était envahi par les citadins et les policiers. Ces derniers avaient arrêté le victorieux duelliste, en lui rappelant,