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vieux Paul, remontant le courant, ramait avec une énergie désespérée dont on ne l’aurait pas cru capable à son âge.

— Je sauverai mon maître, cria-t-il, le regard flambant comme celui d’un fou. Je le sauverai, malgré tout !

Le prêtre en fut réduit à suivre des yeux l’embarcation, s’éloignant en amont, et à prier Dieu que le vieillard parvienne à réveiller la petite ville, avant qu’il ne soit trop tard.

— Un simple duel est déjà détestable, murmura-t-il, en passant la main dans ses cheveux couleur de poussière. Mais ce duel-ci, même en tant que duel, a quelque chose d’odieux. Je le sens jusque dans la moelle de mes os. Qu’est-ce que cela peut bien être ?

Tandis qu’il se tenait là, les yeux sur l’eau, dans laquelle se reflétait en tremblant la lueur du couchant, il entendit, venant de l’autre extrémité de l’île, un bruit sur lequel il ne pouvait se méprendre : la froide répercussion de l’acier. Il tourna la tête.

Au loin, sur le dernier promontoire du long îlot, sur une prairie s’étendant derrière un parterre de roses, les deux adversaires avaient déjà croisé le fer. Au-dessus d’eux, le soir avait édifié un dôme d’or vierge et, malgré la distance, chaque détail apparaissait nettement. Ils avaient jeté bas leurs habits, mais dans les rayons obliques du soleil, le gilet jaune et les pantalons blancs de Saradine, le gilet rouge et les pantalons blancs d’Antonelli brillaient comme les couleurs éclatantes de deux marionnettes automa-