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rapidement. Le soleil couchant dorait encore la pelouse et le butor n’avait pas cessé de crier, comme pour annoncer l’approche de quelque terrible événement.

— Prince Saradine, dit Antonelli, lorsque j’étais un enfant au berceau, vous avez tué mon père et enlevé ma mère ; mon père eut le meilleur sort des deux. Vous ne l’avez pas tué loyalement, comme je vais vous tuer. De complicité avec ma détestable mère, vous l’avez entraîné vers une passe solitaire des montagnes de Sicile, vous l’avez jeté dans un précipice, puis vous avez continué votre route. Je pourrais suivre votre exemple, s’il me plaisait, mais votre exemple est trop abject pour moi. Je vous ai poursuivi par toute la terre et vous avez toujours fui devant moi. Mais ceci est la fin du monde — et de vos crimes. Je vous tiens enfin, et je vous accorde une grâce, que vous n’avez jamais accordée à mon père. Choisissez l’une de ces deux épées.

Le prince Saradine, les sourcils contractés, sembla hésiter un instant, mais ses oreilles tintaient encore à la suite du soufflet qu’il venait de recevoir. Il bondit en avant et saisit une des épées. Le Père Brown s’était précipité entre les deux ennemis, pour s’efforcer d’empêcher le combat, mais il s’aperçut bientôt que sa présence ne faisait qu’envenimer les choses. Saradine était un franc-maçon et un farouche anticlérical ; et la présence d’un prêtre ne pouvait qu’éveiller son esprit de contradiction. Quant à l’autre, ni curé, ni laïque n’aurait pu l’ébranler. Ce jeune homme avec son profil napoléonien et ses grands