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— Si vous êtes le prince Saradine, reprit le jeune homme, je puis vous dire mon nom. Je m’appelle Antonelli.

— Antonelli, repartit le prince nonchalamment. Il me semble me souvenir de ce nom.

— Permettez-moi de me présenter, dit l’Italien.

De sa main gauche, il souleva poliment son haut de forme démodé, et de sa droite il allongea au prince Saradine une gifle si retentissante que son chapeau blanc roula en bas des escaliers et qu’un des vases bleus chancela sur son piédestal.

Quels que pussent être ses autres défauts, le prince n’était évidemment pas un lâche. Il sauta à la gorge de son ennemi et le fit presque tomber sur la pelouse. Mais ce dernier parvint à se dégager, avec un empressement non dépourvu d’une certaine politesse.

— C’est entendu, dit-il haletant. Je vous ai insulté, je vous offrirai réparation. Marco, ouvre cette caisse.

L’homme aux boucles d’oreilles, à côté de lui, ouvrit la longue boîte noire qu’il portait, et en retira deux longues rapières italiennes ornées de superbes poignées d’acier, qu’il planta dans la pelouse. L’étrange jeune homme, tournant vers la porte d’entrée sa face vindicative, les deux épées dressées dans l’herbe, comme les croix d’un cimetière, et la ligne des rameurs rangés derrière, donnaient à la scène l’aspect bizarre d’un tribunal barbare. Le reste du décor n’avait pas changé, tant cette interruption était survenue