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— Je crois bien faire en vous prévenant tout de suite, dit-il, avec cette même raideur qui le faisait ressembler au vieil homme d’affaires de la famille : un bateau conduit par six rameurs vient d’aborder au débarcadère, et un gentleman est assis à l’arrière.

— Un bateau ! répéta le prince, un gentleman ? et il se leva.

Il se fit un silence, ponctué seulement par la voix singulière du butor dans les roseaux. Et soudain, avant que personne n’eût pu parler, une nouvelle silhouette se profila successivement sur les trois fenêtres baignées de soleil, comme celle du prince, quelques heures auparavant. Si ce n’est par le caractère aquilin du visage, les deux physionomies n’avaient rien de semblable. Au lieu du haut de forme blanc flambant neuf de Saradine, apparut un vieux chapeau, de forme antique et démodée. Sous ce chapeau, se dessinait un jeune visage très grave, complètement rasé, le menton bleu résolu, et évoquant vaguement l’aspect d’un jeune Napoléon. Cette comparaison était favorisée par quelque chose d’antique et de bizarre dans toute la mine du jeune homme, comme s’il n’avait jamais pris la peine de changer la mode suivie par ses ancêtres. Il était vêtu d’une vieille redingote bleue, d’un gilet rouge, de coupe militaire, et de pantalons blancs d’une étoffe grossière, comme on en portait il y a cinquante ans, mais qui paraîtraient singulièrement démodés aujourd’hui. Au milieu de toute cette friperie, son visage olivâtre semblait étrange-