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atmosphère trouble et même suspecte. Son visage était raffiné, mais son œil avait quelque chose de sauvage ; il avait des tics nerveux, comme les gens dont la constitution est ébranlée par l’alcool ou par des excitants ; et il n’avait pas même la prétention de diriger sa maison. Il s’en remettait entièrement, à ce point de vue, à ses deux vieux serviteurs, surtout au domestique qui semblait le véritable maître de la maison. M. Paul était évidemment plus qu’un domestique ; il occupait la situation d’un intendant, ou même d’un régisseur. Il mangeait à part, mais avec presque autant d’apparat que son maître ; les autres serviteurs le craignaient, et, lorsqu’il consultait le prince, ses manières étaient à la fois respectueuses et autoritaires — comme celles d’un homme d’affaires. La sombre gouvernante n’était qu’une ombre en comparaison ; elle semblait s’effacer entièrement devant le domestique, et Brown ne surprit plus aucune de ces confidences volcaniques, comme celle au cours de laquelle elle lui avait révélé la situation respective des deux frères. Le prince était-il réellement exploité par le capitaine absent ? C’est un fait dont le prêtre ne put s’assurer, mais il y avait, dans l’allure de Saradine, quelque chose d’inquiet et de furtif qui rendait une telle hypothèse fort plausible.

Lorsqu’ils rentrèrent enfin dans la longue chambre aux multiples fenêtres et aux multiples glaces, le soir doré commençait à descendre sur l’eau et sur la saulaie des berges. Et l’on entendait au loin la voix d’un butor, comme si quel-