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générale du visage. Brown était tourmenté par l’idée vague qu’il avait déjà vu cet homme quelque part. Il lui apparaissait comme un ancien ami déguisé. Puis il songea aux glaces, et attribua cette impression à l’effet psychologique produit par la multiplication de ces masques humains.

Le prince Saradine répartit ses attentions entre ses deux hôtes, avec beaucoup d’entrain et de tact. Trouvant le détective enclin au sport et désireux de bien employer ses vacances, il guida Flambeau et son bateau à l’endroit le plus poissonneux de la rivière. Il revint, après vingt minutes, auprès du Père Brown, installé dans la bibliothèque, et s’ingénia, avec une égale courtoisie, à satisfaire les goûts plus philosophiques du prêtre. Il semblait être à la fois bon pêcheur et grand liseur, quoique ses connaissances littéraires ne fussent pas toutes des plus édifiantes. Il connaissait cinq ou six langues — surtout leurs termes d’argot. Il avait évidemment passé sa vie dans cinq ou six grandes villes, parmi une société très mêlée, car ses histoires les plus gaies avaient pour scène des tripots de joueurs ou des repaires de fumeurs d’opium, et pour acteurs des pionniers australiens et des brigands italiens. Brown savait que Saradine avait passé ses dernières années de vie mondaine à voyager, mais il ne se doutait pas qu’il avait visité des endroits si mal famés et si divertissants.

Malgré sa dignité d’homme du monde, le prince Saradine répandait autour de lui, pour un observateur aussi pénétrant que le prêtre, une