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la mort le surprendrait en route. Avec ce léger bagage, Flambeau descendait lentement le courant des rivières du Norfolk, se proposant d’atteindre les lagunes de la côte, mais se délectant, dans l’entretemps, à la vue des jardins et des prairies bordant les rives, et des châteaux et des villages réfléchis dans l’eau limpide, comme dans un miroir. Il s’arrêtait pour pêcher, dans les bassins formés par la rivière et dans les trous formés par ses boucles, et naviguait, de préférence, à l’ombre des rives.

En vrai philosophe, Flambeau n’avait donné aucun but précis à son voyage, mais, toujours en vrai philosophe, il lui avait donné un prétexte. Il poursuivait un projet auquel il attachait juste assez d’importance pour que son succès couronnât dignement ses vacances, sans que son échec pût, le moins du monde, les gâter. Jadis, à l’époque où il était le roi des voleurs et l’homme le plus célèbre de Paris, il avait fréquemment reçu des lettres de félicitation ou d’injures, ou même des déclarations d’amour. Une de ces missives était, il ne savait trop pourquoi, restée dans sa mémoire. C’était une simple carte de visite sous enveloppe, avec un timbre anglais. Au verso de la carte, on avait écrit quelques mots, en français, à l’encre verte : « Si vous prenez jamais votre retraite pour devenir respectable, venez me voir. Je désire faire votre connaissance, car j’ai fait celle de tous les grands hommes de mon temps. Votre dernier truc, par lequel vous avez réussi à faire arrêter un détective par un de ses collègues, est l’action