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— Poursuivons-nous des fous échappés de l’asile ?

Mais le garçon avait pris goût à conter sa grotesque aventure.

— Je restai abruti, sur le moment. Je n’aurais rien pu faire. L’homme sortit et rejoignit son ami qui avait tourné le coin. Puis ils remontèrent si vite Bullock Street, que je ne pus les rattraper, malgré que je courusse de toutes mes forces.

— Bullock Street, dit le détective, en enfilant cette rue aussi rapidement que l’étrange couple, à la poursuite duquel il était lancé.

Leur voyage les conduisit à travers des voies de briques, uniformes comme des tunnels ; des rues avec peu de lumières et même peu de fenêtres ; des rues auxquelles les maisons qui les bordaient semblaient avoir tourné le dos. L’ombre s’épaississait et les policemen londoniens eux-mêmes n’auraient pu dire, avec certitude, la direction exacte qu’ils suivaient. L’inspecteur était pourtant à peu près certain qu’ils devaient tôt ou tard aboutir quelque part vers Hampstead Heath[1]. Tout à coup, une fenêtre, faisant saillie et éclairée au gaz, perça le crépuscule bleu comme une lanterne sourde, et Valentin s’arrêta devant l’étalage voyant d’une petite pâtisserie. Après un moment d’hésitation, il entra. Il ne perdit rien de sa gravité parmi les joyeuses couleurs de la confiserie, et acheta, d’un air soucieux, treize cigares en chocolat. Il se

  1. La lande d’Hampstead, vaste « common » du nord de Londres.