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les instincts naturels, sans aucune considération pour ce que l’on est convenu d’appeler leur moralité ou leur immoralité. Bien avant que je ne devienne médecin, lorsque je n’étais encore qu’un écolier apprivoisant des souris et des araignées, je croyais que la meilleure chose au monde était d’être un bon animal. Mais, pour l’instant, cette conviction est ébranlée en moi. Je me suis fié à la Nature, mais il me semble que la Nature trahit parfois son homme. Peut-il y avoir quelque chose de vrai dans vos absurdités ? Ma parole, je deviens morbide.

« J’aimais la femme de Quinton. Quel mal y avait-il à cela ? C’était une impulsion de la nature, et n’est-ce pas l’amour qui fait tourner le monde ? Je considérais aussi, en toute sincérité, qu’elle serait plus heureuse avec un animal sain, tel que moi, qu’avec ce cruel petit maniaque. Quel mal y avait-il à cela ? Je ne faisais qu’envisager les faits, en homme de science. Elle aurait été plus heureuse.

« Suivant ma croyance, j’étais libre de tuer Quinton. Sa mort eût été un soulagement pour tout le monde, même pour lui. Mais, en tant que sain animal, je ne prétendais pas me tuer moi-même. Je me décidai donc à ne pas agir, avant d’avoir l’occasion d’agir à coup sûr. Cette occasion se présenta d’elle-même ce matin.

« Je suis entré en tout trois fois dans le bureau de Quinton aujourd’hui. La première fois que je le vis, il ne me parla que d’une lugubre histoire, intitulée la Malédiction d’un Saint, qu’il était en train d’écrire. Il y était question