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pêchait pas de travailler et même de se surmener pour lui, souffrait de le voir s’adonner à l’opium ; mais elle souffrait encore davantage de devoir accueillir chez elle un ermite hindou, vêtu de robes blanches et jaunes, que son mari s’obstinait à garder auprès de lui, durant des mois, pour guider son âme, comme un autre Virgile, à travers le dédale des paradis et des enfers orientaux.

C’est de cet intérieur artistique que sortaient le Père Brown et son ami, non sans quelque soulagement, si l’on peut en juger par l’expression de leur visage. Flambeau avait fait la connaissance de Quinton, à Paris, à l’époque orageuse de sa vie d’étudiant, et était venu passer un dimanche avec lui. Même en faisant abstraction des modifications profondes produites en lui par sa récente conversion, Flambeau n’avait que peu de sympathie pour le poète. Un gentleman, selon lui, eût dû choisir un autre moyen de se damner qu’en s’asphyxiant à l’opium et en écrivant des vers érotiques sur des feuilles de vélin. Comme les deux amis s’arrêtaient devant la porte, avant de faire un tour de jardin, la grille s’ouvrit violemment et un jeune homme, le chapeau melon planté sur la nuque, vint trébucher sur les marches. Il avait la physionomie d’un noceur, portait une éclatante cravate rouge nouée de travers, comme s’il avait dormi dans ses habits, et était armé d’une canne de jonc qu’il brandissait à tout propos.

— Je dois, dit-il hors d’haleine, je dois voir Quinton. Je dois le voir. Est-il sorti ?