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Les folles visions d’un enfant sans tête qui serait né à Glengyle, d’un jeune homme sans tête, se cachant dans le château, d’un homme sans tête arpentant ces salles antiques et ce superbe jardin, défilèrent dans leur esprit, comme un panorama. Mais, même en cet instant critique, cette explication ne prit pas racine en eux, et leur sembla absurde. Ils restaient là, comme des animaux épuisés, écoutant bêtement mugir la forêt et hurler le ciel. La pensée leur parut une chose énorme qui avait brusquement échappé à leur étreinte.

— Il y a trois hommes qui ont perdu la tête, autour de ce tombeau, dit le Père Brown.

Le pâle détective londonien ouvrit la bouche pour parler, et resta bouche bée, comme un idiot, tandis qu’un cri prolongé déchirait le ciel. Puis il regarda la hache qu’il tenait en main, comme s’il s’agissait d’un objet étranger, et la laissa tomber.

— Mon Père, dit Flambeau, de cette voix sourde et enfantine qu’il avait dans de rares occasions, mon Père, qu’allons-nous faire ?

La réponse de son ami fut aussi concise, aussi rapide qu’un coup de fusil.

— Dormir ! cria le Père Brown. Dormir ! Nous sommes au bout du chemin. Savez-vous ce que c’est que dormir ? Savez-vous que tout homme qui dort croit en Dieu ? C’est un sacrement, car c’est un acte de foi et une nourriture. Et nous ne pouvons nous passer de sacrement, fût-il naturel. Quelque chose vient de tomber sur nous, qui tombe rarement sur les hommes ; c’est peut-