Page:Chesterton - La Clairvoyance du père Brown.djvu/136

Cette page a été validée par deux contributeurs.

— J’ai entendu James Welkin rire aussi clairement que je vous entends parler, dit Laura, avec décision. Il n’y avait personne là, car je me trouvais juste devant le magasin et pouvais, d’un coup d’œil, embrasser l’une et l’autre rue. J’avais oublié sa manière de rire, quoique son rire fût presque aussi bizarre que son strabisme. Je n’avais pas songé à lui, depuis près d’un an. Mais il n’en est pas moins vrai que, quelques secondes plus tard, je reçus la première lettre de son rival.

— Avez-vous jamais fait parler ou crier ce spectre ? demanda Angus curieusement.

Laura eut un brusque frisson, puis dit d’une voix raffermie :

— Oui. Au moment même où je terminais la lecture de la deuxième lettre d’Isidore Smythe, m’annonçant son succès, à ce moment même, j’entendis Welkin dire : « Il ne t’aura pas » aussi distinctement que s’il eût été dans la chambre. C’est terrible ; je crois que je deviens folle.

— Si vous étiez folle, dit le jeune homme, vous croiriez être saine d’esprit. Mais il n’y en a pas moins quelque chose de louche dans la conduite de cet homme invisible. Deux têtes valent mieux qu’une — je vous épargne toute allusion à d’autres organes — et si vous voulez me permettre, comme à un homme entêté et pratique, d’enlever le gâteau de noces de la vitrine…

Il fut interrompu par une sorte de cri métallique, dans la rue, et une petite automobile lancée à une allure vertigineuse stoppa brusquement devant la porte du magasin. Au même