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m’inquiétait bien plus que celle du pauvre petit Smythe. Il était très grand et très mince ; il avait les cheveux blonds, un nez droit, et eût presque été beau garçon, malgré son allure fantomatique, s’il n’avait été affligé du plus terrible strabisme que j’aie jamais vu. Lorsqu’il vous dévisageait, non seulement vous ne saviez pas ce qu’il regardait, mais vous aviez des doutes concernant la situation que vous occupiez dans la chambre. Je suppose que cette difformité avait quelque peu aigri le caractère de ce malheureux, car, alors que Smythe était toujours prêt à vous montrer ses tours, James Welkin (c’était le nom de l’homme louche) passait tout son temps à boire dans notre bar et à faire de longues promenades solitaires, à travers la campagne grise et uniforme qui entoure la ville. Je pense d’ailleurs que Smythe souffrait aussi d’être si petit, mais il supportait son mal plus courageusement. Vous comprendrez que je fus à la fois intriguée, surprise et peinée lorsque tous deux vinrent me demander en mariage, durant la même semaine.

Je commis alors ce que, depuis lors, je considère comme une maladresse. Mais, après tout, ces malheureux étaient, dans un certain sens, mes amis, et je ne voulais pas leur laisser soupçonner la véritable raison de mon refus : leur monstrueuse laideur. J’inventai donc un prétexte, disant que je ne voulais pas épouser un homme qui n’avait pas fait son chemin dans le monde, que je me refusais, par principe, à vivre de leurs revenus. Deux jours après que je leur eus donné cette bienveillante réponse, tous mes