Page:Chesterton - La Clairvoyance du père Brown.djvu/132

Cette page a été validée par deux contributeurs.

les manières. Ils vivaient de leurs revenus, et étaient laborieusement paresseux et trop bien mis. Je ne pouvais pourtant m’empêcher d’avoir pitié d’eux, car je soupçonnais qu’ils étaient venus échouer, dans notre petit bar désert, parce qu’ils étaient tous deux affligés d’une certaine difformité qui devait prêter à rire aux mauvais plaisants. Ce n’était pas précisément une difformité, mais plutôt une étrange particularité. Le premier était extraordinairement petit, comme un nain, ou tout au moins comme un jockey. Il n’avait pourtant pas l’aspect sportif. Il avait une tête ronde, une barbe noire bien soignée et des yeux brillants comme ceux d’un oiseau. Il aimait à faire sonner l’argent dans ses poches et à manier la chaîne d’or de sa montre. Il était un peu trop habillé comme un gentleman pour pouvoir en être un. Malgré la futilité de son mode d’existence, ce n’était pas un sot. Il se montrait habile dans une foule de choses qui ne pouvaient pas avoir la moindre utilité. Il pouvait s’improviser prestidigitateur ; il faisait s’allumer quinze allumettes les unes aux autres, comme dans un feu d’artifice ; il pouvait, en un tour de main, transformer une banane, ou tout autre objet du même genre, en une poupée dansante. Son nom était Isidore Smythe et je le vois encore, avec sa petite figure sombre, s’avançant vers le comptoir, et me montrant un kangourou qu’il avait créé à l’aide de cinq cigares.

Le deuxième était plus silencieux et plus banal, mais, je ne sais pourquoi, sa présence