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La demoiselle de magasin se redressa brusquement et dit :

— C’est là une plaisanterie que je ne vous permets pas.

Le jeune homme roux leva sur elle ses yeux gris et continua très gravement :

— C’est vraiment très sérieux, aussi sérieux que le petit pain d’un sou. C’est cher, comme le petit pain, et j’aurai à payer pour cela. C’est indigeste, comme le petit pain. Cela fait mal.

La demoiselle garda les yeux fixés sur lui et sembla étudier ses traits avec une attention presque tragique. Son examen enfin terminé, l’ombre d’un sourire passa sur son visage et elle s’assit sur une chaise.

— Ne pensez-vous pas, observa Angus d’un air distrait, qu’il est cruel de manger ces petits pains d’un sou ? Qui sait, ils pourraient peut-être grandir, devenir des petits pains de deux sous. Je renoncerai à ce sport brutal, lorsque nous serons mariés.

La jeune dame se leva et marcha vers la fenêtre ; elle était évidemment plongée dans des réflexions, qui, pour être profondes, n’en étaient pas moins sympathiques. Lorsqu’enfin elle se retourna, de l’air de quelqu’un qui a pris son parti, elle ne fut pas peu surprise de voir le jeune homme déposer soigneusement sur la table plusieurs objets qu’il venait de retirer de la vitrine, entre autres une pyramide de dragées multicolores, plusieurs assiettes de sandwichs et deux carafes remplies de ce mystérieux porto et de cet indéfinissable sherry que l’on ne trouve