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Il examina le récipient dans lequel se trouvait la poudre blanche ; c’était certainement un sucrier, aussi incontestablement destiné à contenir du sucre qu’une bouteille de champagne est destinée à contenir du champagne. Il se demanda pourquoi on y avait mis du sel. S’étant mis en quête d’autres récipients orthodoxes, il trouva deux salières remplies. Peut-être le sel qu’elles renfermaient n’était-il qu’un condiment spécial. Il le goûta ; c’était du sucre. Il examina alors le restaurant avec un nouvel intérêt, dans l’espoir d’y découvrir quelque autre indice de cette curieuse propension artistique à mettre du sucre dans les salières et du sel dans les sucriers. Sauf une tache, faite à l’aide d’un liquide noirâtre sur l’un des murs tapissés de papier blanc, la salle semblait propre, gaie et conforme. Il sonna le garçon.

Lorsque celui-ci accourut, les cheveux en désordre et les yeux gonflés de sommeil, en raison de l’heure matinale, le détective, qui savait à l’occasion apprécier une innocente plaisanterie, le pria de goûter le sucre et de lui dire s’il répondait à la haute réputation dont jouissait l’établissement. Le garçon resta bouche bée et se réveilla brusquement.

— Vous livrez-vous à cette délicate plaisanterie, aux dépens de vos clients, tous les matins ? demanda Valentin. Cette substitution du sucre au sel et vice versa n’apporte-t-elle jamais avec elle aucune lassitude ?

Dès qu’il eut compris le caractère ironique de cette remarque, le garçon protesta, en balbu-