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Comment un tel banquet de folies fut jamais prêt à temps, c’est une énigme que nous ne tenterons pas de résoudre. Mais les hôtes se mirent à la besogne, avec ce mélange d’ingéniosité et de témérité qui fleurit dans une maison, lorsque la jeunesse l’envahit ; et la jeunesse avait envahi cette maison, ce soir-là, quoique tous les assistants ne pussent peut-être distinguer les deux visages et les deux cœurs d’où elle sortait. Comme il arrive toujours, les imaginations furent d’autant plus hardies que le milieu bourgeois, dont elles tiraient leurs matériaux, était plus timide et plus conventionnel. La Colombine parut charmante, dans une jupe à crinoline qui ressemblait étrangement au grand abat-jour du salon. Le Clown et le Pantalon se blanchirent le visage avec de la farine que leur donna la cuisinière, et se le rougirent avec du fard que leur procura une autre domestique qui (comme tous les véritables bienfaiteurs de la chrétienté) tint à conserver l’anonymat. C’est à grand’peine qu’on put empêcher l’Arlequin, qui s’était déjà argenté à l’aide du papier de plomb emprunté à diverses boîtes à cigares, de démolir le vieux lustre, pour se couvrir de ses cristaux resplendissants. Rien n’eût pu le détourner de cette intention, si Ruby n’avait retrouvé de vieux bijoux de strass qu’elle avait portés à un bal masqué, comme Reine des Diamants. L’oncle Blount dépassait toutes les limites, dans son enthousiasme ; il était aussi fou qu’un écolier. Il coiffa, à l’improviste, le Père Brown d’une tête d’âne en carton que celui-ci conserva d’ailleurs, avec patience, découvrant même le moyen d’en