Page:Chesterton - La Clairvoyance du père Brown.djvu/11

Cette page a été validée par deux contributeurs.

baroque. C’était, selon lui, la pire de toutes si l’on possédait un fil conducteur, mais la meilleure, si l’on n’en avait pas, car il se peut que telle particularité qui attire l’attention du poursuivant, attire également celle du poursuivi. Il faut bien partir d’un point, autant donc partir de celui où un autre pourrait s’arrêter. Il y avait, dans cet escalier, dans l’aspect calme et bizarre de ce restaurant, quelque chose qui éveilla l’imagination romantique du policier et qui le décida à frapper au hasard. Il gravit les degrés, s’assit près de la fenêtre, et commanda une tasse de café.

La matinée était déjà avancée et il n’avait pas déjeuné. Les reliefs d’autres déjeuners, épars sur la table, lui rappelèrent qu’il avait faim ; il ajouta un œuf sur le plat à son menu, et se mit machinalement à saupoudrer de sucre son café, tout en pensant à Flambeau. Il se rappelait que le criminel s’était évadé, un jour, grâce à une paire de ciseaux, un autre, grâce à un incendie, un troisième, en payant la surtaxe d’une lettre non affranchie, et un quatrième, en faisant regarder par ceux qui l’entouraient, à travers un télescope, une comète qui devait détruire la terre. Il se considérait, comme détective, aussi fort que lui comme criminel, ce qui était vrai. Mais il n’en voyait pas moins la situation désavantageuse dans laquelle il se trouvait placé : « Le criminel est un artiste créateur ; le détective n’est qu’un critique », murmura-t-il avec un sourire amer, tout en levant lentement vers ses lèvres sa tasse de café. Mais il la déposa brusquement : Il y avait mis du sel.