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pressant. Cette comédie n’aurait pu naturellement se soutenir longtemps, mais il lui suffit de la prolonger jusqu’à la fin du service de poisson.

Le moment le plus critique pour lui fut lorsque les domestiques s’alignèrent derrière la table, mais, même alors, il réussit à s’accoter au mur, juste au coin, de telle manière que les domestiques le prissent pour un gentleman, et les gentlemen, pour un domestique. Le reste ne fut plus qu’un jeu. Si quelque garçon le rencontrait loin de la table, il rencontrait un languide aristocrate. Il lui suffit d’entrer dans la salle deux minutes avant qu’on n’enlevât les assiettes de poisson, de jouer son rôle de parfait domestique et de les enlever lui-même. Il déposa les assiettes sur un buffet, fourra les couverts dans les poches intérieures de son habit, qui gonflèrent en conséquence, et courut comme un lièvre (je l’ai entendu venir) jusqu’au vestiaire. Là, pour la dernière fois, il reprit son rôle de ploutocrate — de ploutocrate réclamé par ses affaires. Il n’avait qu’à donner son numéro au gardien, et à sortir aussi élégamment qu’il était entré. Seulement, c’est moi qui ai joué le rôle de gardien de vestiaire.

— Que lui avez-vous fait ? cria le colonel. Que vous a-t-il dit ?

— Je vous prie de m’excuser, répondit le prêtre imperturbablement, l’histoire s’arrête là.

— C’est là qu’elle commence, murmura Pound. Je crois comprendre maintenant ses procédés professionnels, mais je ne m’explique pas encore bien les vôtres.

— Je dois partir, dit le Père Brown.