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gers. Il passait sur la terrasse, effaçait un pli de la nappe et accourait de nouveau vers le bureau et vers les communs. Mais, avant d’entrer dans le rayon visuel de l’employé, dans le bureau, et des garçons, il avait pris l’apparence d’un homme totalement différent, dans chaque détail de son allure, dans le moindre de ses gestes. Il se promenait parmi les domestiques, en affichant cette insolence distraite qu’ils ont tous observée chez leurs maîtres. Il n’y avait pour eux rien de neuf à ce qu’un dandy, appartenant au club, arpentât toutes les parties de l’hôtel, comme un ours en cage. Ils savent que rien ne caractérise les gens chics comme l’habitude qu’ils ont de se promener où bon leur semble.

Lorsqu’il était superbement las d’arpenter ce dernier corridor, mon homme faisait volte-face et rebroussait chemin jusqu’au bureau. Dans l’ombre de l’arcade, il se transformait de nouveau, comme par un coup de baguette magique, et passait rapidement, parmi les « Douze Pêcheurs », dans l’obséquieuse attitude du parfait garçon d’hôtel. Pourquoi ces gentlemen auraient-ils remarqué un vulgaire domestique ? Pourquoi les domestiques auraient-ils suspecté un gentleman ? Une ou deux fois, il fit preuve du plus grand sang-froid. Entrant dans l’appartement privé du propriétaire, il demanda impudemment un siphon, pour apaiser sa soif. Il dit qu’il le porterait bien lui-même. Et, qui mieux est, il le fit ; il le porta vivement, dans toutes les règles de l’art, passant au milieu de vous, comme un garçon chargé d’un message