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artistes anglais contemporains.


Guillaume III, elle-même elle confie tour à tour aux mains puissantes de Hans Holbein, de Rubens et de Van Dyck, puis aux moindres mains de Peter Lely et enfin de Godfrey Kneller. Et depuis, elle se réclame d’artistes indigènes.

Mais si dès lors elle peut invoquer le britannisme de véritables peintres comme Reynolds, Gainsborough, Constable, même comme Lawrence, et de gens d’esprit comme Hogarth et Wilkie, ce n’est là pourtant qu’une éphémère lueur, un glorieux feu de paille, qui s’éteint dans l’absurde, dans le monstrueux italianisme où bientôt elle s’enlize et finalement périt asphyxiée. À quoi bon rappeler les tristes noms des Benjamin West, des Fuseli, des William Etty, des James Northcote, d’un John Opie, d’un Benjamin Haydon, d’un James Barry, de toutes ces lourdes phalènes qui vont brûler leurs pauvres ailes au flambeau des maîtres latins, s’y aveugler, et reviennent enflées, gonflées d’une nouvelle importance, bourdonner les Héroïdes du cauchemar dans la nuit de leur aveuglement !

Cette longue nuit n’est illuminée que par le fier talent de David Scott — qui meurt méconnu, à quarante ans, en 1847[1], — et par le génie de Joséph-Mallord-William Turner ; et Turner, qui approchait de quatre-vingts ans, s’en allait tout à l’heure mourir d’une mort anonyme, dans un misérable taudis des bords de la Tamise, au pont de Battersea, le 19 décembre 1851.

Précisément cette année 1851 est l’année de l’hégire pour l’école anglaise moderne. L’Angleterre venait d’ouvrir la première exposition universelle internationale ; elle avait appelé les peuples du monde entier à concourir sur le terrain de l’art et de l’industrie. Victorieuse dans le champ de l’industrie, elle sortit de la lutte vaincue dans le champ de l’art et des arts décoratifs. Ayant constaté qu’elle était tributaire de l’étranger pour ses modèles et que les préférences du marché européen allaient à juste titre aux produits français, calculant les funestes conséquences économiques d’un tel état de choses, comprenant que son infériorité en matière de goût provenait du manque total d’un enseignement des arts du dessin, sollicitée, secondée par S. A. R. le prince Albert qui prit l’initiative du mouvement, elle fonda aussitôt un musée de modèles et une école centrale et normale d’enseignement, c’est-à-dire une admirable source d’instruction spéciale dont l’action partant du South Kensington se répand dans toutes les villes manufacturières et propage sur tous les points du Royaume-Uni l’étude féconde du dessin. Or, cette fécondation — en pouvait-il être autrement ? — n’a point seulement tourné au profit des arts décoratifs ; on admettra bien qu’en ces écoles de toutes parts multipliées sont nés à la vie de l’art bien des peintres dont les œuvres figurent avec honneur aujourd’hui aux expositions de chaque printemps à la Royal Academy et à la Grosvenor Gallery.

D’autre part, cette même année 1851 — je le disais bien que c’était une date d’hégire — fut témoin d’un fait qui pour être moins solennel a cependant aux yeux d’un historien de l’art une importance considérable. Isolés ou groupés, de jeunes artistes, dans le néant où l’école anglaise agonisait, tentaient depuis quelque temps une réaction vigoureuse contre les boursouflures à l’italienne et les platitudes académiques d’alors. Ceux qui sont au courant des choses savent que je parle ici du petit groupe des Préraphaélites, de MM. D. G. Rossetti, W. Holman Hunt, J. E. Millais et de leurs alliés dont le plus actif, le plus résolu était M. F. Madox Brown, quoiqu’il ne fît point partie de la confrérie ou Brotherhood. Aux expositions de 1849, les

  1. David Scott, R. S. A. (membre de la Royal Scottish Academy), dans une courte carrière de vingt années, a laisse un grand nombre d’œuvres importantes parmi lesquelles nous citerons : YAlchimiste, Pierre l’Hermite prêchant la Croisade sur la place du marché d’un village en Normandie ; la Reine Élisabeth à la représentation des Joyeuses Commères de Windsor ; Vasco de Ganta rencontrant le Génie du Cap, et les illustrations du poème de Coleridgc, « The Rime of the Ancient Mariner », la Chanson du Vieux Marin.