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john-everett millais.

Il faut dire que l’hostilité qu’il avait rencontrée dans l’Académie et dans la presse s’adressait moins à Millais qu’au petit groupe d’artistes qui, au nom du préraphaélisme, réagissait alors avec passion contre les routines persistantes qu’avait engendrées l’art des grands maîtres de la Renaissance italienne tombé aux mains des imitateurs et des académies. En haine des règles toutes faites qui se perpétuaient en invoquant l’autorité de Raphaël, de Corrège et de Michel-Ange, par dédain pour ces recettes d’atelier au moyen desquelles on enseignait à faire un chef-d’oeuvre selon la formule en supprimant l’initiative personnelle de l’artiste, la petite école remonta le courant des siècles, reprit l’art au point où l’avaient amené les prédécesseurs de Raphaël, juste au-dessus du coude où l’on avait faussé sa direction, à la minute précise où, sous la pression d’un homme de génie, mais au génie corrupteur, l’art avait commencé de s’égarer dans l’artifice et « le beau mensonge ». Je le dis en tremblant, c’est de Raphaël qu’il était parlé ainsi.

Tête d'étude, par E. Burne-Jones
Tête d'étude, par E. Burne-Jones
Tête d'étude, par E. Burne-Jones.

En ce retour à la reproduction aussi complète, aussi exacte que possible des minuties de la réalité qui leur paraissait être la loi esthétique des primitifs, en même temps que pour affirmer l’unité de leur effort, ils s’avouèrent en effet Préraphaélites, fondèrent la Pre-Raphaelite Brotherhood et pendant quelque temps ajoutèrent à leur nom au bas de leurs tableaux les trois lettres : P. R. B. (Pre-Raphaelite Brother, frère préraphaélite), que les mauvais plaisants traduisaient par la célèbre insolence qui avait naguère amené la rupture entre Brummel et le prince de Galles : Please Ring the Bell, « sonnez, s’il vous plaît ». M. Millais possède encore et garde précieusement une tête de Dante, signée de la sorte par D. G. Rossetti qui fut l’âme de ce mouvement.

Mais Rossetti, poète autant que peintre, très lettré, très épris de la poésie italienne du cycle dantesque, poussait l’école non seulement à la reprise des procédés réalistes des quattrocentisti florentins[1], mais encore à celle de leur mysticisme par le choix des sujets romantiques ou

  1. On sait que cette dénomination de quattrocentisti s’applique en Italie aux artistes qui vivaient au xve siècle, comme celle de trecentisti désigne les artistes du xive.