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LE COMTE KOSTIA

« Quoi qu’il en soit, j’ai bien fait d’écrire hier à Mme Lerins ; aujourd’hui je ne suis plus si content. »


VII


Voici ce que Gilbert écrivait dans son journal six semaines après son arrivée à Geierfels :

« Un fils qui a pour son père les sentiments d'un esclave pour son maître, un père qui marque à son fils, dans l'habitude de la vie, une désaffection voisine de la haine, tels sont les tristes sujets d'étude que je suis venu chercher ici. J'ai voulu d'abord me persuader que M. Leminof était simplement un caractère sec et froid, un sceptique par humeur, par tour d'esprit, un grand seigneur blasé qui croit se devoir à lui-même de témoigner ouvertement son mépris pour toutes les niaiseries du sentiment. Il n'en est rien. Le comte est un esprit malade, une âme tourmentée, un cœur rongé par un ulcère secret, et qui se venge de ses souffrances en faisant souffrir autrui. Oui, ce misanthrope cherche à tirer vengeance de quelque sanglant affront que lui ont infligé les hommes ou la destinée ; son ironie respire la colère et la haine, il couve de profonds ressentiments qui éclatent par instants dans sa voix, dans son regard, dans son geste emporté et violent, car il n'est pas toujours maître de lui : à de certaines heures, le vernis de froide politesse et de glacial enjouement dont il couvre à l'ordinaire ses passions s'écaille subitement, tombe en poussière, et les nudités de son âme apparaissent. Dans les premières