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LE COMTE KOSTIA

d'ensevelir la femme dans l'ombre du gynécée, elle la plaça sur un trône. Et quels désordres n'a pas enfanté dans la société cette absurde idolâtrie !

— Oh ! pour le coup, s'écria Gilbert, voilà une thèse à laquelle je ne me convertirai jamais.

— Voyons, soyez sincère, reprit le comte Kostia. Nous sommes entre hommes, nous pouvons parler sans contrainte et dire à ces dames toutes leurs vérités. Oubliez pour un moment ces principes de fade galanterie que nous a légués le romantisme du moyen âge, et que la révolution a remis en honneur. Nierez-vous que la femme ne soit un être inférieur, incapable de suite dans ses idées, avide d'émotions dramatiques, toujours en révolte contre le bon sens, toujours prête à sacrifier les intérêts généraux à ses passions? Mon Dieu ! je consens à lui pardonner ses déraisons. Elle n'en est pas responsable. Une fatalité cruelle pèse sur elle. Le grand malheur, c'est que dans les vues de la nature, attentive à perpétuer l'espèce, la femme n'est qu'un moyen, et qu'elle ne peut s'empêcher de se considérer comme un but. Il me souvient d'une pauvre levrette qu'on employait à tourner la broche; elle n'avait pu se persuader que le rôti ne fût pas pour elle. C'était chaque jour une nouvelle déception, et je dois le dire, le rôti fut plus d'une fois en danger. Aussi serait-il bon que le rôti, je veux dire la société, prît ses précautions contre les appétits de bonheur de cet être à la fois faible et violent, qui est incapable de comprendre sa vraie destination. Et je ne sache rien de mieux entendu que la captivité du gynécée byzantin ou du harem musulman, pour rappeler aux filles d'Eve qu'elles n'ont