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LE COMTE KOSTIA

secret effroi, de secrètes appréhensions. En vérité, il avait peine à se reconnaître; lui, si sage, si raisonnable, il était assiégé de pénibles pressentiments : il lui semblait que Stéphane était destiné à exercer une grande influence sur son sort, à porter le désordre dans sa vie.

Il s'assit sur le revers d'un fossé, au pied d'un grand noyer qui étendait au-dessus du chemin ses branches noueuses et ses feuilles naissantes, d'un brun rougeâtre.

« Je deviens absurde, se dit-il. Décidément, j'ai l'imagination frappée. Il faut que le soleil du printemps m'ait échauffé la tête. Peu s'en faut que je ne prenne au sérieux toutes les folles billevesées qui me traversent l'esprit. »

Il rouvrit son livre, qu'il n'avait pas cessé de tenir à la main, et il essaya de lire; mais entre la page et ses yeux s'interposait obstinément l'image de Stéphane. Il croyait le voir, le teint pâle, l'œil enflammé, sa barrette sur l'oreille, ses longs cheveux châtains tombant en désordre sur ses épaules. Ce sphinx le regardait avec un sourire à la fois triste et railleur, et lui disait d'une voix menaçante : « Devine-moi, si tu le peux; il y va de ton bonheur. »

Tout à coup il entendit de nouveau le trot d'un cheval, et Stéphane reparut devant ses yeux. Le jeune homme, en apercevant Gilbert, arrêta son cheval, et s'écria :

« Monsieur le secrétaire, je vous cherchais. »

Et, se mettant à rire :

« C'est une déclaration bien tendre que je vous fais là. Sachez que depuis de longues années il ne m'est jamais arrivé de chercher quelqu'un; mais je