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LE COMTE KOSTIA

le flanc de son cheval, que le fier alezan, irrité par cette brusque attaque, rua et se cabra. Stéphane le réduisit par la seule puissance de sa voix hautaine et menaçante ; puis, l’excitant de nouveau, il le lança à bride abattue, et il se donna le plaisir de l’arrêter net dans sa course en lui retirant brusquement la main, et tour à tour il le faisait danser et virer sur place, ou, le poussant au travers de la route, il lui faisait franchir d’un bond impétueux les fossés et les talus qui la bordaient. Après quelques minutes de ce violent exercice, il le mit au petit trot et s’éloigna, suivi de son inséparable Ivan, en laissant Gilbert à ses réflexions, qui n’étaient pas des plus agréables.

Bien que Gilbert fût né poète, la destinée avait fait de lui un homme d’ordre et de discipline ; il avait dû bannir de son existence l’aventure et la fantaisie ; il s’était prescrit un règlement de vie, l’avait toujours observé avec une exactitude presque militaire et, à force d’y prendre peine. L’habitude de mettre tout à sa place et de faire tout en son temps lui était devenue une seconde nature. La régularité de sa vie se révélait dans sa personne ; tous ses mouvements étaient corrects et précis ; à sa démarche, à sa tournure, à son port de tête, à ses regards tranquilles et fiers, on eût pris ce grand ami des marionnettes pour un adjudant-major retraité avant l’âge. Ce qui est certain, c’est que Gilbert considérait comme le souverain bien le calme inaltérable de l’esprit ; par un contrôle sévère exercé sans relâche sur lui-même, il en était venu à maîtriser son humeur et ses impressions, autant du moins que l’humaine infirmité le comporte ; et la pauvreté, qui est une source de dépendance, l’ayant contraint d’avoir