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LE COMTE KOSTIA

vient de soustraire à leurs convoitises; parfois, dans leur délire, elles se précipitent sur une de ces corolles embaumées, la froissent de leurs ailes et la transpercent de leur dard acéré, sans en pouvoir aspirer le nectar. Ce n'est pas à coups d'aiguillon que les abeilles célestes composent ce miel divinement parfumé qui répand sur toutes les blessures de l’esprit comme une douceur souveraine !

Gilbert n'avait jamais éprouvé ces combats et ces déchirement intérieurs; la science et la critique, en pénétrant dans son âme, n'y avaient rien troublé, rien dérangé; ses convictions s'étaient transformées par une sorte de métamorphose lente, insensible, dont aucune crise douloureuse n'était venu interrompre ni brusquer le paisible cours. Élevé par une mère dévote, il n'avait jamais eu besoin d'abjurer sa foi; elle avait grandi et mûri avec lui sans qu'il s'en mêlât, et l'on peut dire qu'il était demeuré fidèle à ses premières croyances ; seulement il les interprétait autrement, et le sens plus profond qu'il leur donnait les lui rendait plus chères et plus respectables. Gilbert raisonnait beaucoup, et il trouvait toujours Dieu au bout de son raisonnement. Il était ainsi fait qu'il avait pu goûter impunément des fruits de l'arbre de la science; l'épée flamboyante du chérubin ne lui était point apparue ; sa témérité n'avait point été punie des douleurs de l'exil; les jardins fleuris de l'Éden lui étaient restés ouverts ; il y rentrait à ses heures et s'y sentait chez lui.

Gilbert regardait donc de tous ses yeux et écoutait de toutes ses oreilles les jeunes choristes. Leur air d'innocence et d'ingénuité, leur maintien modeste, ou paraissait une dévotion candide, leurs voix fraî-