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LE COMTE KOSTIA

sans tache, semblait écouter avidement les harmonies qui s'exhalaient de ces lèvres enfantines, et cette autre musique, plus secrète et plus profonde, qui se faisait au fond des cœurs.

Gilbert le philosophe n'était pas de cette race d'esprits affranchis qui, en échangeant la foi contre la sagesse, obéit à une fatalité intérieure qu'elle déplore sans lui pouvoir résister. Ces esclaves dont les chaînes se sont brisées malgré eux regrettent leur antique servage, ils voudraient à tout prix recouvrer leur candeur passée et ces joies saintes dont la religion gratifia leur enfance. Que sont devenues ces extases où les plongeaient le frémissement des cloches conviant les fidèles à la prière, le parfum de l'encens flottant dans les parvis et le rayonnement des ostensoirs dans l'ombre auguste du sanctuaire? Hélas! ils ont senti se tarir dans leur cœur, envahi par la lumière, les sources vives des pieuses émotions et des sublimes transports, et ils maudissent ce soleil implacable qui a desséché la citerne où s'abreuvaient les ardeurs de leur âme. Les voilà condamnés à penser, à raisonner, à discuter, à critiquer, et ils voudraient sentir, aimer, adorer! O stérilité désolante de leur cœur! et comme ils donneraient volontiers leur triste sapience pour un élan d'amour et de dévotion!… Ces âmes infortunées sont semblables à des abeilles qui n'auraient reçu du ciel un aiguillon qu'à la condition de perdre cette trompe précieuse dont elles butinaient l'essence odorante des fleurs. Frustrées dans leurs désirs, elles se promènent d'un vol inquiet parmi les jardins du ciel, et contemplent d'un œil morne les plantes aimées qu'un arrêt fatal