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LE COMTE KOSTIA

En Russie, on parle plus de trente langues. En Russie, on adore tous les dieux de la terre. En Russie, il y a des Allemands, des Grecs, des Lapons, des Tchouvaches, des Samoyèdes, des Kamtchadales, des Tchoukotches… Un vrai Russe doit avoir autant d'âmes qu'il y a de gouvernements dans l’empire, il doit déchiffrer à livre ouvert un cœur mandchou ou tchérémisse; il doit honorer la Panagia sans se brouiller avec le Dalaï-Lama; il doit être capable de s'acclimater partout, de se naturaliser partout, de tout comprendre sans se passionner pour rien…

« Nous autres Russes, me disait avant-hier M. Leminof, nous sommes appelés à fonder l'unité du genre humain.

— Et comment vous y prendrez-vous?

— Le moyen est fort simple ; nous nous sommes faits les missionnaires de M. Scribe, et nous aspirons à le répandre sur l'Asie.

— Et en revanche, lui ai-je dit, ne répandrez- vous point le Dalaï-Lama sur l'Europe?

— Point du tout, m'a-t-il reparti. A chaque peuple son catéchisme. La religion divise les hommes, le vaudeville les unit.

« Je me trompe : les Russes ne sont pas condamnés sans appel au déniaisement absolu. Leur cosmopolitisme peut se tourner en un esprit d'universelle sympathie. J'ai connu dans le temps à Paris un Moscovite de Moscou qui était un homme admirable. Il joignait à une intelligence froidement lucide un cœur tendre et chaud, il connaissait tout et ne méprisait rien ; il ne se faisait aucune illusion sur les hommes, et il était prêt à se dévouer pour eux; il