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LE COMTE KOSTIA

que sa vache noire mouchetée de blanc se dressait contre le talus d’un fossé pour mordiller les branches gourmandes d’une haie ; le long du pré, un bout de chemin creux où cheminait un meunier perché sur un grand cheval gris ; plus loin, une chaumine dont le toit laissait échapper un mince filet de fumée bleuâtre qui montait vers le ciel en ondoyant… A quelque distance de moi, un oiseau de proie d’une immense envergure planait lentement au-dessus de la vallée ; ses ailes semblaient immobiles, et, suspendu dans l’air, il y traçait de grandes courbes régulières et concentriques. Apparemment il était plongé, comme moi même, dans une rêveuse contemplation à laquelle il ne pouvait s’arracher, et quand parfois il essayait de rompre le charme qui le tenait enchaîné, et qu’agitant ses grandes ailes il prenait son essor vers le ciel, le charme victorieux triomphait bientôt de ses efforts, il redescendait et se remettait à tournoyer, emprisonné, semblait-il, dans un cercle magique et fasciné malgré lui par les grâces divines de ces rives enchantées.

« Mais ce qui me plaît plus que tout le reste, c’est que de Geierfels est, par sa situation, une sorte de foyer acoustique où montent incessamment tous les bruts de la vallée. Cette après-midi, le sourd grondement du fleuve, la respiration haletante du remorqueur, le frémissement d’une cloche dans un lointain campanile, Le chant d’une villageoise lavant son linge dans une fontaine, le bêlement d’un mouton, le tic tac des moulins, les tintements de sonnettes d’une longue file de mulets halant une barque a la cordelle, les clameurs retentissantes de bateliers