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LE COMTE KOSTIA

pas question d’y arriver en voiture, un haquet même ne parviendrait que difficilement jusqu’à nous, et toutes nos provisions de bouche nous sont apportées à dos d’homme ou de mulet… Des montagnes, des rochers à pic, des tourelles qui surplombent un précipice, de grands bois sombres, d’âpres sentiers, des ruisseaux qui tombent en cascades, tout cela ne fut-il pas, madame, un séjour bien sauvage et bien romantique?… Sur la rive droite du Rhin, qui s’étend sous nos regards, c’est tout autre chose. Representez-vous un paysage d’une douceur infinie, une grande plaine cultivée qui s’élève par un mouvement insensible jusqu’au pied d’une chaîne lointaine de montagnes dont la croupe onduleuse dessine sur le ciel secs dentelures aériennes. Assurément, madame, les deux rives du Rhin ne sont pas consacrées à la mème divinité. Autour du Geierfels, dans l’horreur mystérieuse des bois, règne cette primitive et terrible de la nature dont les servants, farouches comme elle, rougissaient de leur sang la mousse des rochers, tandis qu’autour d’eux des prêtresses en délire, les cheveux au vent, semblaient imiter dans leurs danses frénétiques la course désordonnée des astres encore incertains de leur route et les déréglements de l’antique chaos. Là-bas au contraire, dans la plaine, tout reconnaît l’empire de Cérès, de Cérès la blonde, de Cérès couronnée d’épis, divinité tutélaire et bienfaisante qui prend plaisir aux vapeurs de la terre entr’ouverte par le tranchant du soc, au grincement de la charrue, aux longs mugissements des troupeaux et aux chansons du moissonneur liant sa gerbe dorée…