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LE COMTE KOSTIA

le plus habile chamois d’escalader. La pauvre chèvre s’affligeait d’être arrêtée par cet obstacle inattendu ; dans son dépit, elle se mit à donner de la corne contre le buisson, puis elle me regarda en bêlant, et moi je la regardais en souriant, et par intervalles nous détournions tous les deux la tête pour contempler le fleuve, tacheté de place en place de grandes plaques d’or et de pourpre… De bonne foi, madame, ne m’enviez-vous pas ma fenêtre, et ne troqueriez-vous pas contre ma chèvre blanche toutes les marchandes des quatre-saisons que vous voyez passer dans la rue Jacob ?

« Et maintenant faites avec moi, je vous prie, le tour de notre beau domaine. Le fier rocher dont nous occupons la plate-forme, et qui mérite son nom d’Aire de vautour, se termine au nord par ce que vous savez, à l’ouest par une ravine qui le sépare d’autres monticules plus élevés et bizarrement déchiquetés, dont la chaîne accompagne le fleuve dans son cours. Cette ligne de hauteurs n’est pas continue ; elle est coupée de gorges étroites qui débouchent dans la vallée et qui laissent arriver jusqu’à nous les derniers feux du soleil. L’autre soir, le couchant était rouge, et l’une de ces gorges semblait vomir des flammes ; on eût dit la gueule d’une fournaise. À l’est, le Geirfels domine de ses escarpements de sa terrasse le Rhin, dont il n’est séparé que par la grande route et un chemin de halage. Au midi, il communique par des sentiers rapides, avec un vaste plateau dont il forme en quelque sorte l’étage supérieur, et qui est recouvert d’une forêt de hêtres sillonnée d’eaux courantes. C’est de ce côté-là seulement que notre manoir est accessible : mais il n’est