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LE COMTE KOSTIA

exposa à Gilbert le plan de ses travaux et lui indiqua le genre de recherches qu’il attendait de lui. Cette conversation se prolongea pendant plusieurs heures, et à peine M. Leminof fut-il rentré dans son cabinet, qu’il prit la plume et écrivit à M. Lerins le billet que voici :

« Mon cher docteur, recevez mes remerciements pour le sujet précieux que vous m’avez envoyé. Je l’aurais fait faire tout exprès qu’il ne serait pas plus à mon goût. C’est précisément l’outil dont j’avais besoin ; mais permettez-moi de vous dire que si ce jeune homme me plaît, c’est qu’il ressemble fort peu au portrait que vous aviez bien voulu m’en faire. Vous m’annonciez un héros de Berquin, et je me proparais à vous le renvoyer, car c’eût été à mes yeux un vice rédhibitoire. Mon cher docteur, les jeunes gens d’aujourd’hui sont plus compliqués que vous ne le pensez ; la candeur n’est pas leur partage ; ils sont tous très-forts en arithmétique, et le plus ingénu d’entre eux est pour le moins un Chinois commencé. Ce qui me charme dans votre candide ami, c’est qu’il se démontre lui-même, comme un cornac fait son éléphant. Il a bien voulu m’expliquer dans le plus grand détail ce petit mécanisme que vous appelez sa belle âme ; il m’a fait voir le grand ressort, le mouvement, les engrenages, les aiguilles et la sonnerie. Le plus bel avantage de cette horloge, c’est qu’elle marche au doigt et qu’elle marque toujours l’heure que l’on veut. Avec cela, ce jeune homme me parait très-heureusement doué : c’est un érudit consommé, qui a le sens juste et l’esprit critique. En vérité, je ne pouvais mieux