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LE COMTE KOSTIA

quoi dans l’œil des barbets qui force quelquefois les gros dogues à prendre en bonne part leurs privautés.

« Ah ça ! monsieur, dit le comte, de votre propre aveu, vous êtes un parfait égoïste. Votre grande affaire est de vivre, et de vivre pour vous !

— C’est à peu près cela, répondit Gilbert ; seulement j’évitais de prononcer le mot, il est un peu dur… Ce n’est pas que je sois né égoïste, poursuivit-il ; mais je le suis devenu. Si j’avais encore mon cœur de vingt ans, j’aurais apporté ici des idées très-romanesques. Vous allez bien rire, monsieur : figurez-vous qu’il y a dix ans je serais arrivé dans votre château avec l’intention très-arrêtée de vous aimer beaucoup et de me faire aimer de vous.

— Tandis qu’aujourd’hui…

— Mon Dieu, aujourd’hui je sais un peu le monde, et je me dis qu’il ne peut être question entre nous que d’un marché, et que les bons marchés sont ceux qu sont avantageux aux deux parties.

— Quel terrible homme vous faites ! s’écria le comte avec un rire goguenard ; vous détruisez sans pitié toutes mes illusions, vous attentez à la poésie de mon âme ! Dans ma naïveté, je m’imaginais que nous allions nous éprendre d’une belle passion l’un pour l’autre. Je projetais de faire de mon secrétaire mon ami intime, le cher confident de toutes mes pensées, mais au moment où je m’apprête à lui ouvrir mes bras, l’ingrat me vient dire d’un ton posé : « Monsieur, il ne s’agit entre nous que d’un marché ; je suis le marchand, vous êtes l’acheteur, je vous vends du grec, et vous me le paverez argent comptant. » Peste ! monsieur, votre belle âme ne