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LE COMTE KOSTIA

adresser au ciel la prière du philosophe : « Ô mon Dieu ! gardez-moi contre mes amis ! Je me charge de mes ennemis. »

Mes questions vous semblent peut-être indiscrètes, poursuivit M. Leminof ; prenez-vous-en à M. Lerins. Sa dernière lettre m’a causé de vives inquiétudes. Il vous annonçait à moi comme un être exceptionnel : il est naturel que je prenne mes informations. Je déteste les mystères, les surprises. J'ai ouï parler d’un petit prince d’Abyssinie qui, pour témoigner sa gratitude au missionnaire qui l’avait converti, lui envoya en cadeau une grande caisse en bois de senteur. Quand le missionnaire ouvrit la caisse, il y trouva un joli crocodile du Nil tout vivant. Jugez de son plaisir ! Ce sont de ces aventures qui prêchent la prudence. Aussi, quand notre excellent ami M. Lerins m’envoie en cadeau une belle âme, il est naturel que je déballe avec précaution, et qu’avant d’installer chez moi cette belle âme, je cherche à savoir ce qu’il y a dedans… Une belle âme ! dit-il encore d’un ton moins ironique, mais plus sec, à force d’y rêver, je devine que c’est une âme qui a la passion des colifichets en matière de sentiment. En ce cas, monsieur, souffrez que je vous donne un conseil. Mme Leminof avait un goût prononcé pour les chinoiseries, et elle en avait encombré son salon. Par malheur, j’ai les mouvements un peu brusques, et il m’est arrivé plus d’une fois de renverser à terre des guéridons charges de porcelaines et d’autres babioles. Vous jugez si elle était contente ! Mon cher monsieur, soyez prudent, enfermez soigneusement vos chinoiseries dans vos armoires, et retirez-en les clefs.