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LE COMTE KOSTIA

êtes capable de beaucoup souffrir sans en rien marquer. C’est un talent qui aujourd’hui ne court pas les rues. Ce qui me chagrine, c’est que notre excellent ami M. Lerins m’a tout l’air de me considérer comme un loup-garou. Je serais désolé, monsieur, de vous faire peur. « Et se tournant à moitié vers Gibert : « Voyons, regardez-moi bien ; est-ce que j’ai des griffes au bout des doigts ? » Le pauvre Gilbert maudissait in petto M. Lerins et son zèle indiscret.

« Oh ! monsieur le comte, répondit-il de sa voix la plus nette et de son air le plus tranquille, je ne me défie jamais des griffes de mon prochain. Seulement quand d’aventure il m’arrive de les sentir, je crie très-fort et je me défends. »

Le son de voix de Gilbert et l’expression de son visage frappèrent M. Leminof. Ce fut à son tour, sinon de tressaillir (il ne tressaillait guère), du moins d’être étonné. Il le regarda un instant en silence, puis il reprit d’un ton plus sardonique :

« Ce n’est pas tout ; M. Lerins (ah ! quel admirable ami vous avez là !) veut bien m’apprendre encore que vous êtes, monsieur, ce qui s’appelle aujourd’hui une belle âme. Qu’est-ce qu’une belle âme ? Je n’en sais trop rien… » Et en parlant ainsi il avait l’air de chercher tour à tour une mouche au plafond et une épingle sur le parquet. » Que voulez-vous ? J’ai sur toutes choses des idées très-arriérées, et je n’entends rien au vocabulaire de mon siècle. Je suis très-bien ce que c’est qu’un beau cheval, une belle femme ; mais une belle âme ! Sauriez-vous m’expliquer, monsieur, ce que c’est qu’une belle âme ? »

Gilbert ne répondit mot. Il était tout occupé à