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LE COMTE KOSTIA

pentit de ce qu’il venait de faire, car sa figure était effrayante à voir ; sa pâleur était devenue livide ; tous les muscles de son visage s’étaient contractés, son corps était agité de mouvements convulisifs; il essayait en vain de parler, la voix expirait sur ses lèvres, on eût dit que son âme fût près de l'abandonner. Il ôta précipitamment l’un de ses gants et voulut le jeter à la face de Gilbert ; mais sa main tremblante le laissa échapper. Un instant il contempla d’un œil de reproche et de mépris cette main fluette dont il maudissait l'impuissance ; puis des larmes jaillirent en abondance de ses yeux, il se pencha sur le cou de son cheval, et d’une voix étouffée il murmura :

« Pour l’amour de Dieu, si vous ne voulez pas que je meure de rage, rendez-moi … rendez-moi… »

Il ne put achever ; mais déjà Gilbert s’était lancé vers le fossé, avait ramassé sa cravache et la lui avait remise, ainsi que le gant. Stéphane, sans le regarder, lui répondit par une légère inclination de tête, il tenait ses yeux attachés sur le pommeau de sa selle et semblait chercher à reprendre possession de lui-même. Gilbert eut pitié de son état, et se détourna pour ne pas l’embarrasser de ses regards ; mais au moment où il se penchait pour ramasser sa canne et sa valise, l’enfant, d’un coup de cravache bien appliqué, lui enleva son chapeau qui roula dans le fossé, et lorsque Gilbert, surpris et indigné, voulut se précipiter sur le jeune traître, il avait déjà lancé son cheval au triple galop et en un clin d’œil il atteignit la grande route, où il disparut dans un tourbillon de poussière.

Gilbert fut beaucoup plus affecté de cette aven-