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LE COMTE KOSTIA

n’ai pas de peine à les tenir en échec ; ils ne m’ont jamais livré des assauts bien dangereux. J’aurai trente ans, vienne la Saint-Médard, et je ne sais encore que par ouï dire ce qu’est cette folie que le monde appelle l'amour. C'est un pays de féeries où je n’ai jamais abordé,… car de mes amourettes de vingt ans, n’en parlons pas ! Elles ne m’ont rien appris là-dessus… Vraiment je crois que la nature, en me créant, n’a pas voulu se mettre en frais ; elle ne m’a pas habillé de neuf, elle a loué dans ma poitrine un vieux cœur qui avait déjà servi. Ce cœur porte les cicatrices de blessures que je n’ai jamais reçues, il a des ressouvenirs lointains de passions que je ne me rappelle pas avoir jamais éprouvées. Dans mon existence actuelle, je ne suis qu’un contemplatif passionné. Puisse mon esprit conserver à jamais sa jeunesse ! Éternelle vérité, que mes pensées aient toujours des ailes pour monter à vous !… Et cependant, se dit-il encore, les ambitions de l’esprit sont une source de souffrances. La vie est facile pour les hiboux, les espaces ne les invitent pas ; mais l'aigle veut monter au soleil : dût-il retomber l’œil consumé, l’aile brisée, et livrer pour jouet à l’écume des mers, Sa morne dépouille, … un instant du moins la splendeur de l’empyrée aura étanché les soifs ardentes de sa prunelle, et ses remords auront vidé d’un seul trait la coupe des celestes clartés … Moi, Gilbert, qui ne suis pas de la confrérie des aigles, je les ai souvent suvis de loin dans leurs ascensions aériennes, et plus d’une fois, j’ai ressenti les douloureuses voluptés du vertige. Ce sont là les seules aventures de ma vie, Ah ! puissé-je ne jamais redouter de si glorieuses fatigues ! »