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LE COMTE KOSTIA

bres qui voilent encore ses yeux, elle entrevoit confusément le soleil ; elle reconnaît en lui ce fantôme adoré dont elle rêvait en dormant ; une joyeuse folie s’empare d’elle, et la vie qui bouillonne dans son sein jaillit en flots de sève dans la tige grandissante des fleurs et dans le tronc noueux des vieux hêtres rajeunis… Et cette sève printanière montait aussi au cœur de Gilbert. Il en était étourdi, accablé. Une brise caressante jeta comme un soupir dans le feuillage naissant d’un marronnier voisin, et un oiseau se mit à chanter. Il semblait à Gilbert que ce chant et ce soupir sortaient des profondeurs de son être. Dans la rêverie, le cœur répète comme un écho la grande musique de l’univers ; il devient semblable à ces coquilles marines d’où l’on entend sortir, en les approchant de son oreille, le confus et majestueux murmure de l'Océan.

Mais la rêverie de Gilbert prit subitement un autre cours. Du banc où il était assis, il apercevait le Rhin, le chemin de halage qui côtoyait ses eaux grisâtres, et plus près de lui, la grande route blanche où de pesants chariots et des chaises de poste soulevaient par intervalles des nuages de poussière. Cette route poudreuse absorba bientôt toute son attention. Il lui sembla qu’elle lui faisait les yeux doux ; elle l’appelait, elle lui disait :

« Suis-moi, nous nous en irons ensemble dans Les pays lointains ; nuit et jour, infatigables tous deux, nous marcherons du même pas, nous franchirons les rivières et les montagnes, chaque matin nous changerons d’horizons. Viens, je t’attends, donne-moi ton cœur, je suis la fidèle amie des vagabonds, je suis la divine maîtresse des cœurs hardis