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LE COMTE KOSTIA

dier le lendemain, et il se mit en chemin à pied, portant sous son bras une petite valise, et se promettant bien de ne point se hâter. Une heure plus tard, il avait quitté la grande route, et il se reposait dans un humble cabaret situé sur un monticule planté de beaux arbres. Il se fit servir à dîner sous une tonnelle. Son repas se composa d'une tranche de jambon fumé et d’une omelette au cerfeuil, qu’il arrosa d’un petit vin clairet qui ne sentait point l’évent. Ce festin à la Jean-Lacques lui parut délicieux ; il était assaisonné de cette liberté du cabaret qui était plus chère à l'auteur des Confessions que la liberté même d’écrire.

Quand il eut fini de manger, Gilbert se fit apporter une tasse de café, où plutôt de ce breuvage noirâtre qu’on appelle café en Allemagne. Il eut peine à le boire, et il se prit à regretter l'excellent moka qu’apprêtait de ses mains Mme Lerins. Cela le fit penser à cette aimable femme et à son mari.

« C’est singulier, se dit-il, ces excellentes gens m’aiment beaucoup et me connaissent bien peu. Tous les conseils qu’ils me donnent l’autre jour S’adressaient à un Gilbert de fantaisie. Ils ne savent pas à quel point je suis raisonnable. Par moments, il me semble que j'ai déjà vécu une fois, tant mon âme prend aisément toutes les altitudes que commandent les circonstances. »

Bientôt Gilbert oublia Paris et Mine Lerins, et il tomba dans une vague rêverie. On était dans les premiers jours de mai. Les arbres commençaient à verdoyer. C’était ce moment si solennel et si doux où la terre sort de son long sommeil : elle jette dans l’espace des regards languissants ; à travers les om-