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LE COMTE KOSTIA

tête, ce large front ouvert, ces grands yeux bleus où se peignent des curiosités si bienveillantes, cet air de gravité recueillie, souvent égayé par un sourire jeune et frais qui s’accorde avec la limpidité du regard, cette voix pure, nette, franche, un peu chantante, qui sait donner aux choses de l'esprit comme un accent du cœur…, qu’est ce que le comte Kostia ferait de tout cela ? À ses heures, je ne le nie pas, il savait être aimable, gracieux, séduisant ; mais la griffe était là-dessous. En vérité, lui donner notre Gilbert, ce serait jeter une perle entre les pattes d'un léopard !»

Ainsi résonnait M. Lerins ; mais deux heures plus tard, Gilbert reçut une lettre qui le décida à partir pour le Geierfels. Elle lui était adressée par l'un des conservateurs de la Bibliothèque impériale, et lui annonçait qu’une place vacante au département des manuscrits venait d’être donnée à l’un de ses compétiteurs, moins recommandable par le mérite, mais né apparemment sous une meilleure étoile. Les dernières lignes étaient ainsi conçues : « Ne vous découragez pas ; vous avez le bâton de maréchal dans votre giberne. Un homme tel que vous est assuré de son avenir. »

« Ils me répéteront cela jusqu’à la veille de ma mort ! » se dit Gilbert en hochant la tête, et sans plus tarder il courut chez M. Lerins.

Le docteur essaya d’ébranler sa résolution ; puis, voyant que c’était peine perdue :

« Mon cher Gilbert, finit-il par lui dire, vous voilà décidé ; permettez-moi de vous donner quelques petits conseils. Ce grand seigneur moscovite avec qui vous allez vivre tête à tête dans une retraite sau-