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LE COMTE KOSTIA

l’adoucissement qu’il en espérait. Il ne lui suffisait pas avoir quitté son pays, il aurait voulu changer de planète, et il se plaignait de trouver partout la nature trop semblable à elle-même. Aucun site ne lui semblait assez étranger à sa destinée, et dans les lieux déserts où le promenait l’inquiétude désespérée de son cœur, il s’imaginait revoir des témoins importuns de ses joies passées et de l’infortune où elles s’étaient subitement englouties.

Il habitait depuis un an la Martinique, quand la fièvre jaune lui enleva l’un de ses enfants. Par une réaction bizarre de son vigoureux tempérament, ce fut vers ce ternps même que sa sombre mélancolie se dissipa, et fit place à une gaieté amère et sarcastique qui était plus conforme à son naturel. Dès sa première jeunesse, il avait eu un goût de plaisanterie, un tour railleur dans l’esprit, assaisonnés de cette grâce ironique dans les manières qui est le propre des grands seigneurs moscovites, et qui atteste une longue habitude de jouer avec les hommes et avec les choses. Toutefois sa guérison n’alla pas jusqu’à lui rendre les agréments qu’il portait autrefois dans le commerce de la vie. La souffrance avait amassé en lui un levain de misanthropie qu’il ne prenait pas la peine de dissimuler ; sa voix avait perdu ses notes carressantes, elle était devenu rude et saccadée, son geste était brusque et son sourire méprisant. Par moments, toute sa personne annonçait une volonté superbe qui, tyrannisée par les événements, aspirait à prendre sa revanche sur les hommes.

Si terrible cependant qu’il fût parfois aux personnes de son entourage, c’était un diable civilisé