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LE COMTE KOSTIA

battre sa chemise sur ses reins, le fit mettre à genoux, et, tirant de sa poche une fiole pleine de je ne sais quel baume dont il vanta les vertus, il pansa de sa main les blessures du moujik. L'opération terminée :

« Cela ne sera rien, mon fils, lui dit-il. Va, et ne pèche plus ! »

« Sur quoi le serf se releva et sortit de la chambre toujours souriant. Le sourire d'Ivan est une plante exotique que je ne connaissais pas, et qui ne croît qu'en pays slave, sourire étrange, véritable prodige de bassesse, dirai-je, ou d'héroïsme! Lequel des deux? Je n'en sais trop rien.

« Malgré mon trouble, j'ai pu observer la figure de Stéphane au début de l'exécution. Au premier coup, un éclair de joie triomphante a passé sur son visage ; mais quand le sang a jailli, il est devenu horriblement pâle, et il a porté une de ses mains à sa gorge, comme pour arrêter au passage un cri d'horreur, et de l'autre il couvrait ses yeux pour ne rien voir; puis, n'y pouvant plus tenir, il s'est enfui à toutes jambes… Dieu soit loué! la compassion l'avait emporté dans son cœur sur la joie de voir châtier son geôlier. Il y a dans cette jeune âme, aigrie par de longues souffrances, un fonds de générosité et de bonté; mais ne perdra-t-elle pas avec le temps jusqu'aux derniers vestiges de ses qualités natives? Dans trois ans d'ici, Stéphane couvrira-t-il encore ses yeux pour ne pas voir le supplice d'un ennemi ? Dans trois ans, l'habitude de souffrir n'aura-t-elle par étouffé la pitié dans son cœur? Demain, demain peut-être, ses entrailles n'auront-elles pas jeté leur dernier cri?