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de ce qu’il avait de trop et, dans ce but, comme il était nuit, il enferma dans sa main une poignée de sa barbe, près du menton, et mit le feu au reste à la flamme d’une lampe. La flamme dévora rapidement ce bout de barbe et arriva à la main qu’il dut retirer précipitamment, dès qu’il sentit la chaleur. Sa barbe fut ainsi consumée en entier. Il écrivit alors sur le dos du livre, à côté de la Sentence qui y figurait déjà : « Ces paroles sont d’une parfaite exactitude ; moi, qui écris en ce moment-ci, j’en ai fait l’expérience » restant convaincu lui-même que la faiblesse de l’intelligence est proportionnée à la longueur de la barbe[1].

On raconte, sur ce même sujet, qu’Haroun er Rachid, étant dans un Kiosque, aperçut un homme pourvu d’une grande barbe. Il ordonna de le lui amener et, lorsqu’il l’eut en sa présence, il lui dit : « Quel est ton nom ? » « Abou Ârouba » répondit l’homme. « Quelle est ta profession ? » « Je suis maître en controverse » Haroun lui posa alors ce cas à résoudre : Un homme achète un bouc qui, en rejetant ses excréments par l’anus, atteint l’acheteur d’une de ses crottes et le blesse à l’œil. Par qui sont dus les dommages-intérêts ? « Par le vendeur » répondit aussitôt Abou Ârouba. « Et pourquoi ? » reprit le calife. « Parce qu’il a vendu le bouc sans préve-

  1. (97) Cette historiette fait ressortir, non sans quelque sel, la double stupidité de l’homme qui en est le héros et qui, non content de se brûler sottement la barbe, et probablement aussi la peau, se délivre encore à lui-même un brevet d’imbécilité dans l’inscription qu’il ajoute de sa main sur le dos du livre.

    On peut, jusqu’à un certain point, établir un rapprochement entre l’espèce de démonstration qu’elle renferme et le fameux argument : Épiménide dit que les Crétois sont menteurs ; or Épiménide est Crétois, etc.