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Supposé qu'on la trompe, et qu'elle me le croie ;

Où donc est encor là le grand sujet de joie ?

Je jouis d'une erreur ; et j'aurais souhaité

Une source plus pure à ma félicité !

Un mérite étranger est cause que l'on m'aime ; [985]

Et je me sens jaloux d'un autre, dans moi-même !

LISETTE

Que la délicatesse est folle en ses excès !

Eh ! Monsieur, y faut-il regarder de si près ?

Qu'importe du bonheur la source fausse ou vraie ?

DORANTE

Tout ce que j'entrevois, de plus en plus m'effraie. [990]

Le bonheur du poète était encor douteux ;

Mais il est mon rival, et mon rival heureux.

De Lucile, sans cesse, il contemple les charmes.

Il se voit, vingt rivaux, sans en prendre d'alarmes.

À l'estime du père il a le plus de part. [995]

Seule, avec son valet, je te trouve à l'écart.

Que te veut-il ? Pourquoi s'enfuit-il à ma vue ?

Quels étaient vos complots ? D'où vient paraître émue ?

Réponds.

LISETTE

Tout bellement ! Vous prenez trop de soin ;

Et c'est aussi pousser l'interrogat trop loin. [1000]

DORANTE

Je t'épierai si bien aujourd'hui... prends-y garde.

Quelque part que tu sois, crois que je te regarde.

Cependant, allons voir, en les feuilletant bien,

Si ces tablettes-ci n'instruisent de rien.



Scène III

LISETTE, seule.

M'épier ! Doucement ! Ce serait une chaîne. [1005]

Quoiqu'on soit sans reproche, on ne veut rien qui gêne.

Ah ! C'est peu d'être injuste ; il ose être importun !

Aux trousses du fâcheux je vais en lâcher un,

Qui, s'attachant à lui, saura bien m'en défaire.

Le voici justement.