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pur, et que la supériorité de l’esprit sur la matière ne permet point de vous considérer comme un être matériel ?

J’essaierai d’expliquer cette apparente contradiction. On peut dire que sentir n’est autre chose que connaître, ou du moins que la sensibilité est l’origine, la source de la connaissance ; en effet, celui qui sent connaît par l’intermédiaire des sens les qualités et les objets extérieurs ; par la vue, il perçoit les couleurs ; par le goût, il perçoit les saveurs. On peut donc dire aussi, sans blesser la vérité, que l’on sent en général tout ce que l’on connaît, et que toute idée est un sentiment, de même que tout sentiment est une idée. Ainsi donc, ô mon Dieu, bien que vous ne soyez point un corps, vous êtes doué de sensibilité au plus haut degré, par cela même que vous connaissez pleinement toutes choses, et que votre intelligence surpasse celle de l’homme de toute la supériorité de l’esprit sur la matière.

Chap. VII.

Mais comment êtes-vous tout-puissant, si vous ne pouvez pas toutes choses ? Ou comment pouvez-vous toutes choses, si vous ne pouvez souffrir, ni mentir, ni changer la vérité en erreur, ni empêcher que ce qui est fait ne soit fait ? J’essaierai de répondre à cette objection. Quand on veut que Dieu change la vérité en erreur, qu’il empêche que ce qui est fait ne soit fait, on exige de lui une chose absurde et contraire à la raison ; or, Dieu étant la raison suprême, l’absurdité est incompatible avec sa nature, et sa puissance ne doit point se déployer aux dépens de sa sagesse. Demander que Dieu puisse souffrir, qu’il puisse mentir, c’est lui demander, non pas un acte de puissance, mais un témoignage de faiblesse. L’homme peut souffrir et mentir, et en cela il peut ce qui est funeste ou criminel ; et plus il le peut, plus l’adversité et le mal ont d’empire sur lui, moins il en a lui-même contre le mal et l’adversité. Un pareil pouvoir n’est donc au fond qu’impuissance et faiblesse. Quand l’homme souffre et pèche, il ne fait pas acte de puissance, il cède au contraire à une puissance étrangère qui le domine.

Ce n’est donc que par un abus de langage que nous exprimons une idée de pouvoir là où nous devrions exprimer une idée de faiblesse. Cet emploi abusif des mots n’est pas rare dans notre langue : souvent pour nous, existence veut dire néant, action veut dire inaction. Par exemple, qu’une personne nie l’existence d’une chose, nous exprimons notre assentiment en ces termes : « La chose est comme vous le dites. » Il serait plus logique, il me semble, d’employer les termes suivants : « La chose n’est pas comme vous la niez. » Nous disons en-